« Cuz my dream don't comfort me. »

- maman, pourquoi papa regarde des autres filles dans la rue ?
- parce qu'elles sont jolies Myung Dae.

- maman, pourquoi papa parle avec des autres filles dans la rue ?
- parce qu'elles sont gentilles Myung Dae.

- maman, pourquoi papa a ramené une jeune mademoiselle à la maison ?
- parce que c'est la vie Myung Dae.

- maman, pourquoi papa est parti avec sa valise et la madame ?
- parce que Myung Dae est un gosse insupportable, et que papa lui en veut. Maman lui en veut aussi.

Ça n'était que des mots, des sons sous forme de syllabes, un amas de consonnes et voyelles mêlées à une appellation. Qui aurait pensé qu'il s'en souviendrait quatorze ans après, qu'il aurait bâti une vie sur ces propos ? C'était de la colère, de la rancœur et de la tristesse, et pourtant, à cinq ans tout juste, le garçon expérimenta le mal-être réel. Le désir d'être ailleurs, de ne pas être là, ou d'être un autre.

Il ne se retourne jamais, ne regarde pas en arrière : ce serait accroître sa douleur. Les idéaux changent avec les années, les goûts et les couleurs se subliment ou se ternissent, mais les caméléons conservent leurs facultés. Quels sont ses centres d'intérêt ? Qu'est-ce qu'il aime ? Ces questions lui ont souvent été posées par le passé, de l'enseignement le plus primaire à celui qu'il vient de quitter. A-t-il seulement une préférence, un avis réel qui ne serait pas influencé par la façon dont on voudrait qu'il soit ? Mais qu'importe les regards que l'on posait sur les frêles épaules qu'il avait étant enfant, les sourires auxquels il répondait timidement, il manquait de présences à ses côtés. Celle rassurante d'un père, pour démentir des propos blessants. Celle rassurante d'une identité, pour se sentir lui-même. Sa mère n'était pas un monstre, loin de là, la colère l'avait seulement guidée dans l'instant. Elle était douce et aimante, l'élevant lui et ses deux frères cadets. Mais l'aimait-elle pour Myung Dae, ou pour le camouflage dont il ne se défaisait pas ? Il aurait pu le savoir s'il s'était un instant délesté.

« Ton fils est vraiment très beau garçon. Il a fait de la chirurgie ? » Il voyait bien les trémoussements gênés de sa mère qui triturait ses doigts. Elle gloussait ; il soupirait. Avait-il nécessairement besoin d'avoir recours à de tels moyens pour parfaire son masque ? Le menton dans le creux de la main, il tentait d'ignorer la conversation qui se jouait à ses côtés. Son regard fatigué se perdait sur le jardin dans lequel il aurait aimé, bêtement, se rouler à s'imprégner de la senteur d'herbe tondue. Hors, sa veste était bien trop neuve et chère pour l'abîmer, son collier bien trop imposant et précieux ; sa réputation trop forgée. Myung Dae glissa sa main dans ses cheveux décolorés : c'est fou ce qu'il fallait faire pour plaire, pour être vu comme la fierté de la famille. Ses frères n'y comprenaient rien. Lui non plus, d'ailleurs. « Myung Dae-sshi, que veux-tu faire plus tard ? » Bouche bée devant une question dont il n'avait pas la réponse, il la déclina poliment d'un sourire et consulta discrètement son cellulaire. « Quels sont les métiers les plus populaires ? » S'il était médecin, peut-être posséderait-il le pouvoir de soigner son cœur d'une blessure si épineuse du passé qu'étaient des mots volants.

La main flattant l'encolure de l'animal, il se saisit de l'étrille pour esquisser d'énergiques gestes circulaires sur le flan de l'équidé fiévreux. Un léger soupire quitta ses lèvres tandis qu'il plissait le nez sous l'odeur spéciale que dégageait. Sa large blouse couvrait les muscles qui se dessinaient contre son gré. Ayant quitté l'école pour subir une pression de moins au quotidien, c'est néanmoins avec des résultats excellents que Myung Dae a réussi à décrocher un stage chez les vétérinaires. Les gens l'ont jugé sur cette allure frivole et désinvolte qu'il a présenté. Ils auraient peut-être préféré qu'il soit lui-même, cela lui aurait évité les piques acerbes à longueur de journée. Qu'est-ce qu'un fauteur de troubles au look de voyou pouvait faire avec les bêtes, encore fallait-il qu'il lâche la fille qui diffère chaque jour et l'accompagne à son bras. Qu'il crache ce chewing-gum mâché grossièrement et fixe sa casquette à l'endroit. Si seulement il était sage, caché derrière ses grosses lunettes rondes, alors ils n'auraient rien eu à lui dire, le taquinant tout au plus. Il n'y a jamais que les androïdes qui comprennent, trop inhumains pour en acquérir les tares, enfin le pensait-il.

Et finalement, c'est quoi la solution ? Le paraître l'emporte sur l'être, mais finit-on par devenir ce que l'on paraît, ou pouvons nous jouer incessamment à ce que l'on est pas jusqu'à sa mort ?