Quand la voiture piégée explose, je crois mourir. Comme un héros de roman de gare, j'ai l'impression de voir défiler ma vie devant mes yeux. Tu es présente dans la plupart des images qui me reviennent dans le désordre.. Tantôt, tu te tiens devant moi, à bout de souffle. Tes cheveux sont trempés, tes vêtements gorgés d'eau. Tu pleures sous la pluie battante. Je viens de t'annoncer que je m'en vais. Tantôt, les voilures de ta robe blanche tournoient dans les airs, puis retombent sur ton ventre rond et bombé. Nous rions, ivres de bonheur ; nous allons nous marier. Les moments dont je me souviens ne sont pas tous empreints de tant de solenmnité. Te rapelles-tu de ces dimanches après-midi passés à paresser sur le divan ? De nos mains qui ne se quittaient pas lorsque nous marchions ensemble dans la rue ? De l'habitude que j'avais de serrer ton corps contre le mien avant de m'éveiller le matin ? Moi, je pensais avoir tout oublié. Quand je t'ai quitté, j'ai effacé de ma mémoire tous ces instants bénis afin de ne garder à l'esprit que la douleur du deuil et le désespoir de vivre encore. Pendant des années, je n'y ai plus pensé. Et pourtant, soudain, voilà que je ne songe plus qu'à cela.

Le réveil est difficile. L'arrière de mon crâne me fait mal, mon dos me lance affreusement. Mais surtout, les fragments du passé avec lesquels mon imagination s'amuse laissent peu à peu place à la froide réalité. Je dégrise lentement, mais sûrement. Quand j'ouvre les yeux, la lumière au plafond m'aveugle. Je ne sais pas exactement où je suis, mais je le comprends peu à peu. J'étais en mission. Je devais liquider des trafiquants de pièces. A mon arrivée, la boutique clandestine où ils opéraient avait été désertée. C'était un guêt-apens. Quand je m'en suis aperçu, il était trop tard : un véhicule en flammes fonçait déjà tout droit sur moi.

A en juger par l'odeur d'antiseptique, on a dû me trouver et me transporter quelque part où je pourrais être soigné. Qui a bien pu avoir ainsi pitié de moi ? J'obtiens ma réponse lorsque, après m'être redressé à grand-peine, je distingue les contours incertains de ta frêle silhouette. Féline, tu t'étires et quittes le fauteuil dans lequel tu étais confortablement lovée. Te voir n'éveille en moi ni surprise ni joie. Néanmoins, quand je reprends la parole, il n'y a pas d'hostilité dans ma voix traînante. Seulement de la lassitude.

《 Pourquoi est-ce que tu m'as encore ramené ici ? 》

Ce n'est pas la première fois que la chose arrive. Au cours de mes traques, j'ai souvent frôlé la mort. Tu as toujours été là pour me ramener à la vie. Et cela, toujours, bien malgrè moi... Do Hee. Je n'ai qu'une envie : aller la retrouver. Pourquoi m'en empêches-tu ? Ne te manque-t-elle pas à toi aussi ?

《 Je ne suis pas l'un de tes soldats de plomb. Ce n'est pas en me renvoyant à l'usine que l'on parviendra à me réparer. 》

Tu sais bien que chez moi, il y a quelque chose d'irrémédiablement cassé. Cela ne sert à rien de t'obstiner. Je refuse que l'on recolle les morceaux de mon coeur brisé. Ceux-ci sont définituvement ancrés dans ma chair. Ils la lacèrent continuellement afin que je ne puisse jamais oublier. Je cracherai ainsi mon sang et mon venin jusqu'à ne plus pouvoir tenir debout.

《 T'aurais juste dû me laisser là-bas...》