'Shadows settle on the place, that you left. My mind is troubled by the emptiness. Destroy the middle, it's a waste of time. From the perfect start to the finish line.'
Des lumières dansent au dessus de sa tête, changeantes et aveuglantes. Des tonalités différentes, néons de couleur, tamponnant sa rétine par flashs réguliers, s'estompant et réapparaissant une seconde après l'autre.
Le goût amer de la bière dans le fond de sa gorge, se diffusant encore sur ses papilles engourdies. La musique, vibrante, se propageant dans chaque fibre de son corps, menaçant de faire imploser sa cage thoracique. Faisant trembler ses entrailles.
Le goulot de la bouteille porté à ses lèvres, le liquide brûlant descendant et coulant dans sa gorge. Et puis, il la laisse glisser de sa main dénuée de force, la laisse cogner le sol au milieu des débris, rejoindre les nombreux autres cadavres de verre vides.
Il passe une main dans ses cheveux, lasse. Attrape son briquet, une cigarette, et l'allume, en fait flamber le bout. Il incendie ses poumons de la substance toxique, observant d'un œil le reste de braise virevoltant du bâtonnet entre ses doigts.
Il l'écrase quelque part, ensuite, après en avoir drainé toute la fumée. Sur un cendrier peut-être, ou bien sur un mur – quelque part, ça n'a aucune importance.
Il observe les lumières qui brillent et s'évanouissent tour à tour. Ferme les yeux. Et se laisse lui même glisser contre le mur, parmi les cadavre des bouteilles, et les débris qui jonchent le sol et semblent cristalliser les siens.
(Coquille vide au milieu d'un nuage de fumée. Coquille vide aveuglée par la lumière et avalée par les ténèbres.)
'I open my eyes, I try to see but I'm blinded by the white light. I can't remember how, I can't remember why I'm lying here tonight'
Il voit le jour en ce premier jour de Décembre, en cette froide journée qui déjà, annonce l'hiver. Un faible vent balaie les rues, tandis que des flocons virevoltent dans l'air et viennent trouver refuge sur le dur sol de la ville de Busan. Mais les chaussées, rendues brûlantes par la pollution et tous les réseaux sous terrains qui les alimentent, ne parviennent pas à constituer un hôte approprié à ces papillons de glace, puisque la neige fond et disparaît au contact des trottoirs de cette grande ville portuaire du Sud. Le blanc pur de cette dernière, là où elle parvient à subsister, se confond et se mélange avec le sale goudron des rues.
Le vent répand les cristaux de glace qui tourbillonnent dans l'air, et vient cogner à la fenêtre de la chambre d'hôpital, dans laquelle le nourrisson ouvre pour la première fois ses petits yeux, et prend la première inspiration de sa vie : une bouffée d'air qui remplit ses poumons de nouveau né.
Il naît dans l'hôpital où son père travaille, fruit d'un mariage de convenance où l'amour n'a pas lieu d'existence. Tous deux voient déjà en lui le futur petit garçon et le jeune homme qui prendra la suite de leur famille et suivra son père dans chacun de ses pas. Un jeune homme pour préserver et perpétrer le nom d'un homme tel que son père, ce médecin renommé dans tout le pays.
Il se nomme Jihoon, né le premier décembre 2052 dans la deuxième plus grande ville du pays, dans un hôpital trop blanc et trop froid pour l'accueillir correctement, la neige l'entourant de son aura et la lune se figeant haute dans le ciel, répandant sa lumière blafarde dans leur chambre.
'Hey Dad, I'm writing to you.
Not to tell you that I still hate you, just to ask you how you feel, and how we fell apart :
How this fell apart '
« Jihoonie, il va nous falloir déménager. »Il a six ans et quarante trois jours quand sa mère lui annonce qu'ils vont devoir quitter la grande ville portuaire de Busan pour Seoul.
Il ne comprend pas de suite, penche la tête sur le côté et regarde sa mère, les yeux pleins de questions. Il va falloir qu'ils partent ? Qu'ils changent de maison ? Qu'il abandonne les quelques amis qu'il s'est fait dans son école primaire, qu'il abandonne sa chambre et qu'il en ait une nouvelle. Qu'il laisse derrière lui et oublie le vent de la mer lui caressant les joues quand il joue dehors, ou la vue miroitante de cette gigantesque étendue d'eau, de vagues, quand il rentre chez lui après une longue journée à l'école. Ou encore qu'il se prive des grands couloirs de l'hôpital où il se plaît à marcher pour chercher son papa, -son père, ou la nourriture, les fruits de mer et les poissons propres à la région. C'est abandonner son maître d'école qui lui donne des cours en plus pour le perfectionner, ou encore la petite fille dans sa classe, à qui il a tenu la main en secret pendant le cours de mathématiques et avec qui ils se sont lancés des regards « amoureux ».
A tout juste six ans et quarante trois jours, c'est tout un monde qu'on lui demande et force à laisser derrière lui. Le sien. Le seul qu'il ait jamais connu, et celui qu'il a mis six ans à construire, de ses propres petites mains d'enfant, tel un château de sable -comme les forteresses qu'ils se plaisent à bâtir avec ses amis, quand les parents des autres les emmènent à la plage.
Mais on lui explique, patiemment, que tout ceci se fait pour son père. Il ne comprend pas tout à fait les mots qu'on lui donne en guise d'explication, quelque chose comme « on lui a offert une magnifique opportunité dans la capitale », et puis, il écoute les conversations des adultes, des 'amis' de sa mère qui viennent boire le thé, pendant qu'il joue tranquillement ou fait ses devoirs dans la pièce d'à côté. « vous rendez vous compte ? Directeur ! On lui lègue la direction d'un des plus prestigieux hôpitaux à Seoul ! Seoul ! ».
Il ne comprend pas bien la portée des mots ou exactement dans quelles conditions vont se faire ce changement brusque et si important dans sa vie. Mais il comprend que cela concerne son père, et que cela est quelque chose de bien pour lui.
Or, si laisser le seul petit monde qu'il a connu derrière lui se fait pour son père, cette personne si grande pour laquelle il a tant d'admiration, abandonner la forteresse de sable qu'il a construite et la laisser s'effriter peu à peu avec le temps, ne peut pas quelque chose être de mauvais.
Il sourit à sa mère, plissant légèrement ses petits yeux avec son innocence d'enfant et acquiesce de la tête en guise de réponse, et pour faire signe qu'il a compris.
'I remember the days you were a hero in my eyes, (but those are just a long lost memory of mine. Now I'm writing just to let you know I'm still alive)'
Il est déjà tard quand il rentre de ses cours du soir. Mais la longueur de sa journée et le labeur de son travail ne lui pèsent pas ce jour-là. Il tient entre ses petites mains de jeune adolescent -tout juste, tout juste- un papier qui lui est si précieux. Il le pose sur son bureau, prenant soin de ne pas l’abîmer, et part se changer.
Quand il sort de la douche, c'est avec un grand sourire qu'il entend la porte de la grande -trop grande maison s'ouvrir, pour y laisser entrer son père, un costard lisse sur le dos et une cravate trop serrée autour du cou. Il la dessert et pénètre dans le salon, et si le jeune garçon lui adresse un sourire et le salue gaiement, il n'obtient pas de réponse claire en retour, seulement un regard et un vague hochement de tête. (c'est suffisant)
Cet homme, dont les traits ont été vieillis et durcis par les longues heures de travail et les nuits blanches à l'hôpital, se dirige vers son bureau tout en desserrant sa cravate et le col de sa chemise, jetant sa veste bleue marine sur le canapé avant d'entrer dans la pièce avoisinante. Le jeune garçon le suit, d'un pas rapide et s'arrête devant la porte laissée entrouverte.
Il observe un moment en silence son père, à travers l'espace qui lui ait donné. Cet homme qui, aujourd'hui encore a du sauver les vies de plusieurs personnes, cet homme qui porte la responsabilité d'un hôpital entier sur ses épaules. Cet homme charismatique et incroyablement intelligent, qui lui inspire tant de respect et d'admiration, qui d'un seul regard peut faire taire une salle entière. Cet homme qui rentre chez lui le soir avec le poids du travail encore sur le dos, et qui continue à travailler malgré la fatigue. Cet homme qui vous jauge du regard et vous analyse en quelques secondes, qui ne parle que peu et qui ne sourit jamais, mais dont il est fier d'être le fils. Un homme auquel il aspire tant à ressembler.
(cet être froid et distant qui est pourtant son père)
Il l'observe, alors qu'il s'assied à son bureau et sort les documents dont il doit s'occuper, quelques radiographies qui lui restent encore à observer. Il met ses lunette sur son nez, l'air encore plus sévère que d'ordinaire, étudiant en silence les papiers qu'il tient dans ses mains. Et puis, le petit garçon lève la main, le poing, et s'apprête à toquer contre le bois de la porte. Mais une main agrippe son poignet avant qu'il n'en ait le temps, l'empêchant de manifester sa présence à son père.
« Jihoon, que fais-tu ? Pas maintenant ! Tu vois bien que ton père est fatigué et occupé ! Tu devrais aller te coucher, une prochaine fois, d'accord ? » C'est la voix de sa mère qu'il entend. Il relève des yeux peinés vers elle, et coupables. Il tente d'ouvrir la bouche pour formuler ses pensées, pour se justifier – Mais il est déjà trop tard. Son père s'est levé déjà, et il ferme la porte de manière ferme juste devant eux. Le jeune garçon croise le regard de la femme en face de lui (« tu vois »), et puis baisse les yeux.
Il tente vaguement de ranger dans le coin de son cœur la déception à l'idée de ne pas avoir le droit de parler à son père. Et la douleur naïve qui l'accompagne. Ses doigts se serrent autour du papier qui lui était si précieux une heure à peine plus tôt, le froissant dans ses poings sans s'en rendre compte. Il prend une inspiration, et se convint que c'est mieux comme cela. Que c'est normal.
Après tout, il a tout juste douze ans, il a encore toute la vie pour prouver sa valeur à son père, et le rejoindre dans son hôpital. Son père est un homme occupé. C'est normal qu'il n'ait pas de temps à lui consacrer. Peu importe s'il est premier de sa classe et de son école, à son âge, ça n'a que peu d'importance. Il a encore toute la vie devant lui pour se rapprocher de son père et pour qu'il soit fier de lui.
Quelques petits efforts de plus, tout simplement.