Il est cinq heures du matin et je n’ai pas dormi, comme souvent. Assis seul sur un banc, je jette un oeil sur la ville encore assoupie. Je la vois bleue. Et dans ma tête résonne un air lancinant, et je me sens à la dérive… Parfois sous l’ombre des nuages solitaires, et là, flottant sur une rivière froide. Je vais à contre courant. « Je ne sais pas vivre ». Gêné, ennuyé, j’essaie tant bien que mal de garder pied. Mais les affres nocturnes m’attirent ; semblable à la mouche fixée à son poteau électrique. Je rêve des lueurs artificielles. Des instants faits de songes trompeurs… Toujours je guette l’aube humide, et ses réalités. Le travail. Des horaires. Les responsabilités. Perdu dans ce champ miné, j’aperçois seul, un trou béant étendu à mes genoux… « Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? ». Je suis écrasé par le poids de cette question, à laquelle j’offre un long silence. Je ne veux pas de tout ça. Même si, en passant devant ces vitrines infranchissables, je savoure l’odeur du café frais. C’est tout bête, mais il est rare que je prenne un petit-déjeuner. Je mange un peu ici, un peu par là, et mal.

Alors je traîne dans la vaste cité. Une ombre entre ces costumes, qui me frôlent… Pressés, tirés, épinglés. Ils passent à travers moi, et je les crains ; eux qui sont si réels. Pourtant, je les trouve bien pâles, et mornes. Aucun son ne franchit leurs lèvres scellées. Je devine leur dos courbé, et les marques de politesse. Des sortes d’automates, pour certains. Et je préfère m’enfuir dans ces lieux blancs et apaisants ; là où trône le Passé. Je reste une heure à contempler un tableau de peinture… Et j’imagine la main antique ayant frôlé la toile. Le tissu à ses avants-bras. Sa manière de s’exprimer. Quant aux ruines de marbre… Elles me fascinent. Je pourrais croire aisément à une chair palpitante, tellement l’art est grand, et fin. Aussi, je retrouve toujours une statue en particulier. Un bel éphèbe, pris dans l’effort. Je risque un doigt à ses lèvres charnues, légèrement entrouvertes… Si douces.

Puis je vais, je viens… De bus en bus, de quartier en quartier. Et j’arpente les chemins de l’université. Encore une fois, je sèche les cours ; alors ça me fait tout drôle, de pénétrer dans un autre lieu d’études et de savoirs. « Imposteur, imposteur », souffle une petite voix. Oui, entre autres… Ici, je suis chez moi. Comme un peu partout d’ailleurs. Je me confonds dans la foule estudiantine, et je file droit, jusqu’au club vidéo. J’entends. « Vous avez vu… La vidéo ? ». J’entre. « Quelle vidéo ? ». Yun Su se tourne vers moi, surpris. « Oh, c’est toi Jim… Une sex tape, avec un étudiant d’ici ». Je hausse un sourcil, peu intéressé, avant de me servir une tasse de thé. « Tiens, regarde… ». Un écran apparait à mes yeux, et je découvre une chambre, avec un lit, des draps bien tirés, et de jolis coussins. Puis j’aperçois deux jeunes hommes, enlacés ; l’un jette un regard à la caméra. La température monte très vite, pour eux. Moi, ça ne me fait ni chaud ni froid. Je suis tellement habitué… L’un des amants regarde régulièrement l’objectif, et l’autre, pas du tout. Ce dernier aurait-il été filmé à son insu ? Je le crains, et ça me donnerait presque la nausée. Je repousse alors l’écran. « Merci, je n’ai pas envie de voir le reste… ». J’attire les ricanements de mes chers amis, distinguant un « Oh, pourtant toi qui est dans le métier… ». Bientôt la pièce se vide, à mesure que les cours débutent. Seul en compagnie de ma boisson chaude, je savoure ces gorgées imprégnées de menthe. Quelque peu amère.