J’ai bientôt trente ans.
Dans quelques mois, j’irai à la casse. Mais je ne ressens rien à l’idée de cette «mort». Car pour mois, chaque seconde est un cadeau. Je ne suis pas humaine, je ne suis pas poisson, je ne suis pas sirène, je suis simplement une androïde. Cette vie est une convenance, et dès ma création, j’ai su que je devrais m’en contenter. J’ai été formatée ainsi ! Mais après vingt neuf ans auprès des humains, j’ai pu longuement les observer et j’aimerais tellement être comme eux. Ils peuvent aimer, ils peuvent détester, et moi je ne puis que m’interroger. Qu’est ce qu’est réellement un coeur battant ? Je rêve d’aimer, de me marier, d’avoir des enfants... Je n’ai que pour satisfaire mes envies de liberté et les fantaisies de mon créateur. Je suis la dernière androïde d’une suite de sept ; mes soeurs ont été détruites, elles étaient plus âgés que moi. Mon créateur étant maintenant décédé, je n’ai plus vraiment de famille. Aussi je rêve d’avoir la mienne ! Après tout, pourquoi pas ?

Notre créateur, un fameux technicien et biologiste d’Electric Corporation, avait décidé de mettre à l’eau, c’est le cas de le dire, sa passion pour l’océan. Fervent d’aventures en mer, il aimait filmer les poissons, les mammifères marins, les coraux et toutes les vies sous marines, mais aussi passer son temps dans sa piscine d’eau de mer ! Après des années de schématisation et d’expérience, il nous a créé, nous, les sept Mermaid : Luctis, Luna, Luverne, Lumahi, Lukka, Lucia et Ludacris.
Nous sommes des androïdes de niveau deux, vouées à servir et à aider. Notre différence ? Notre corps de métal est constitué d’écailles de la même matière, mais aussi d’écailles marines, seulement au niveau de nos jambes. Comment ça, ça ne se voit pas ?! C’est bien normal. Il y a un processus d’activation, qui s’allume à notre gré - c’est bien notre seule liberté - qui transforme nos jambes de métal en queue de sirène métallique, d’une couleur bien différente pour chacune d’entre nous. La mienne de couleur, c’est le bleu. J’adore le bleu, et toutes ses nuances. J’aime l’eau aussi, nager avec les poissons et les dauphins. Grâce à nous, notre créateur a pu filmer de magnifiques images et les a revendues pour le compte d’EH, ce qui a rapporté de sacrés sommes d’argent à l’entreprise. Sa perte a été, pour EH, comme pour nous, une terrible nouvelle. Il était sacrément doué... Et sacrément humain. Je pense qu’il m’a transmis cette envie de vivre, d’avoir un coeur battant et non silencieux.

Une fois créée, il a bien fallu nous trouver une utilité ! Nous avons notamment servi de grandes familles, qui font des donations à l’entreprise EH par divers biais.
De mon côté, j’ai pu prendre la direction d’une pâtisserie originale à l’aube de mes vingt deux ans. Auparavant, j’ai surtout servi de distraction à une famille et ses invités, j’ai donc appris le chant et le piano, je les pratique toujours d’ailleurs. J’aime parfois en faire profiter mes clients, et ils aiment ça ! Un chant de sirène, un chant de sirène ! , disent-ils, demandent-ils. Je suis là pour les faire sourire, et je crois pouvoir dire que ça me réchauffe. Car bien entendu, une fonction de sirène n’a pas que des avantages. Notre corps métallique a divers substances qui doivent se régénérer au contact de l’eau, c’est un peu comme notre batterie. Aussi, dois-je être dans l’eau au moins cinq heures par jour. Les humains dorment ? Et bien les androïdes sirènes nagent. Chacun sa façon de subsister.

J’ai quelques autres petits soucis. Mon âge « avancé » ne me gêne pas énormément pour le moment - quoique quelques boulons rouillés dans les bras... urf - mais il est parfois agaçant d’avoir des yeux bleus très clairs. La lumière interfère parfois avec mes paramètres et m’empêche de parfois ou de chanter pendant des heures. Je n’ai pas ce souci sous l’eau, le preuve que j’ai été davantage conçue pour ce milieu.

Voilà ma petite histoire... Voudriez-vous en faire parti ? Je vous ferai part de la beauté de la vie, de ses paysages et de son visage. Je vous montrerai le souffle des coraux et le coeur de la mer. Voudriez-vous faire parti de ma vie ?