« The path I must walk is endless. The countless scars that imprison me, they’re like sad thorns that dig into me »
Seo Hojoon, c’est son nom lorsqu’il sort de l’usine pour la première fois. Du moins, c’est ce qu’on lui a indiqué dans un dossier papier. Il est androïde de compagnie, il a été fait à la demande d’une jeune femme pour combler le manque affectif qu’elle ressent. En bref, il est là pour l’épouser et remplir le rôle de petit ami, de mari, pour le reste de sa vie, ou du moins pour au moins une vingtaine d’années. Dans le dossier qu’on lui a donné, des informations en vrac sur la jeune femme qui a demandé l’androïde. Elle aime les roses, elle déteste le noir. Elle aime être surprise, et c’est pourquoi elle demande expressément de ne pas savoir à quoi ressemble son androïde. Elle veut le rencontrer, comme si c’était par hasard, comme s’il n’était pas un androïde. Un tas d’informations défilent devant ses yeux tandis qu’il feuillette le long dossier, et quelques heures plus tard, il est prêt.
Il la rencontre pour la première fois dans un bar, où il boit un cocktail et l’observe pendant quelques temps avant de l’aborder. Il s’efforce de se rappeler de tout ce qui était écrit dans le dossier pour être le plus attentif et le plus convaincant, tout en ne montrant pas qu’il la connaît déjà jusqu’au bout des doigts. Souriant, attentif, passionné, il la revoit plusieurs fois, toujours habillé de couleurs pour ne pas lui déplaire, et c’est après le cinquième rendez-vous qu’il finit par l’embrasser.
Avec les mois, les années qui passent et leur relation qui grandit, Hojoon commence à réellement ressentir des sentiments. De l’ordre de plaire à la jeune femme, il ne considère plus passer du temps avec elle comme un simple travail. Il passe du temps avec elle parce qu’il aime ça, parce qu’il ressent des choses pour elle, du moins ce qu’un androïde peut ressentir.
Il sait, d’une certaine manière que cette relation n’est vouée qu’à être la compagnie de quelques années, qu’il ne vivra pas assez pour voir des enfants grandir, qu’il ne pourra jamais être le vrai père d’enfants de toutes façons, qu’il n’a qu’une trentaine d’années avant de ne plus pouvoir voir son visage, ne plus pouvoir l’embrasser ou la serrer contre lui. Il sait, depuis le départ, que tout cela est voué à l’échec, qu’il est voué à la casse dans quelques années, et qu’ils ne pourront jamais vivre ensemble jusqu’au bout. Mais Hojoon, tout ce qu’il veut, c’est ressentir, profiter de ses années de « vie » pour prétendre être un humain, faire tout ce qu’ils auraient fait, ressentir tous les sentiments qu’ils ressentent dans leur vie.
C’est pourquoi, pour reculer toujours un peu plus le moment où elle se lassera de lui, il s’efforce de garder l’illusion : il n’est pas un androïde, il est une personne comme une autre. Lorsqu’elle reste chez lui pendant plusieurs jours, ou l’inverse, il se recharge en secret. Il ne veut pas qu’elle découvre qu’il est un androïde, qu’elle voit que leur relation n’est qu’une illusion. C’est égoïste, il le sait, mais il a peur de la perdre, de ne plus être considéré comme son petit ami, mais comme un androïde de compagnie.
La chute n’en est que plus dure lorsqu’elle refuse sa demande en mariage. Le bouquet de roses par terre, les genoux d’acier s’entrechoquent contre le sol.
« Hojoon, je sais ce que tu es. Je sais que tu es l’androïde que j’ai commandé il y a des années à la EH. Je ne compte pas me marrier avec toi, je ne compte pas faire ma vie avec toi : après 30 ans, tu ne seras plus qu’un tas de ferraille. Tu n’es qu’un androïde de compagnie, une machine faite pour me convenir et m’aider à me sentir mieux en attendant de trouver une personne dont je tomberais amoureuse pour de vrai. Une vraie personne. »Pour la première fois de sa vie d’androïde, Hojoon pleure. Plus les mois passent, plus il se renferme sur lui-même. Bien sûr, il continue à tenir compagnie à la jeune femme, en attendant qu’elle trouve mieux, mais sa vie n’a plus réellement de but ni de raison d’être. Il se contente de l’accompagner lorsqu’elle le veut. A cause de son rôle, il ne peut pas s’enfuir et tenter sa vie avec quelqu’un d’autre. Et puis de toutes manières, qui voudrait d’un androïde comme lui ? Chaque jour, il s’attend à décrocher le téléphone et à ce qu’elle lui dise ces simples mots
« Hojoon, j’ai trouvé. », pour lui signifier la fin du contrat, la fin de sa vie à lui. La fin de son rêve avec elle.
Il reste deux années de plus à ses côtés, à l’accompagner malgré tout, et rongé par la peine et la douleur, ce n’est qu’avec un sourire triste qu’il accepte la fameuse phrase, un beau jour de juin. Lui, ne peut s’empêcher de penser, avec amertume, qu’elle le lui a annoncé 5 ans exactement après le début de leur relation, et tout ça ne rend la pillule que plus difficile à avaler.
« Je n’en ai plus besoin maintenant ! » dit-elle avec un sourire radieux à la personne de l’usine de EH qui les recoit. Il ne peut s’empêcher de penser qu’elle n’aura jamais souri autant lorsqu’elle était avec lui, et il sait, bien qu’il ne veut pas se l’avouer, qu’elle ne l’a jamais vraiment aimé, qu’elle l’a toujours seulement toléré car il lui faisait de la compagnie.
La pensée le tue à petit feu. Mais l’EH lui promets de lui donner une nouvelle vie, plus centré sur lui-même. En acceptant d’être reprogrammé pour sa nouvelle vie, il ferme les yeux sur un pan de sa vie qu’il espère se verra remplacé par de meilleurs souvenirs dans le futur. Du moins c’est ce qu’il espère en fermant les yeux sur la table de mécanique en métal, quand il sent qu’on lui enlève le peu d’énergie qu’il restait sur sa batterie.
[RESET SYSTEM]Lorsqu’Ojoon se redresse pour la première fois, sa batterie chargée à bloc, aucune émotion, aucune pensée ne passe dans son esprit. Seulement le désir de se lever et de rejoindre les entraînements pour rejoindre les troupes de surveillance de l’EH. Un ingénieur en robotique lui indique quelques informations, son nom, son âge : on lui explique qu’il a eu un problème de court-circuit fatal lors d’une opération commando quelques semaines plus tôt, et qu’il a été remis à zéro. Que cette remise à zéro lui a fait perdre tout ce qu’il avait appris en tant qu’androïde de surveillance ces 5 dernières années, tous ses souvenirs. Il doit repasser par l’entraînement pour se reforger une mémoire physique et pouvoir repartir sur le terrain. Dès lors, Ojoon se concentre sur ses entraînements, puis, après quelques semaines, sur les missions qu’on lui donne. Rapidement, il monte de grade dans les équipes, et est chargé de missions plus importantes, plus dangereuses. Mais le danger ne lui fait pas peur : la peur est un sentiment qu’il n’a jamais connu. Il est aujourd’hui connu pour être l’un des meilleurs androïdes de surveillance du groupe, et ne manque pas une occasion de montrer sa capacité à briller sur le terrain : sans pitié, il attrape et tue si besoin tous ceux qu’on lui désigne.
Il y a de ça quelques semaines, Ojoon a eu un problème d’alimentation qui lui a fait subir un court-circuit mineur. Depuis, l’androïde commence à ressentir de drôles de choses, et à se rappeler de visages qu’il n’a jamais vu auparavant. Comme s’il se souvenait d’évènements d’une vie parallèle, d’une autre vie.