« Dégage! T'es pas ma mère! »

La chose se recule dans l'incompréhension alors que tu t'effaces toi aussi dans cette pièce que tu chérissais tant avant. Tu te fonds dans ce canapé qui te rappelle des temps disparus, où tu a vécu l'apogée de ton existence. Tu te souviens alors, de sa longue chevelure de geais, son air poupon, ses joues bien roses, ses petites rides de vieillesse et sa voix toujours chaleureuse. Ta mère te manque, ses étreintes chaudes aussi et ça n'est pas cette tour de ferrailles amovibles qui la remplacera.
Ton père est devenu fou, et parfois tu as l'impression de suivre son chemin. Tu ne sais pas si tu es réellement vivant, si tu existes en tant qu'être humain,  et voir du sang sortir de ta chair ne te suffit plus, n'est plus une preuve pour toi;  qui es-tu donc? Dis-le nous jeune homme. T'es pas fait de boulons, mais parfois t'envies ces bidules qui marchent dans la rue, qui se font passer pour la même espèce que toi, et qui croient en une espère d'humanité robotique. Foutaise.
L'humanité disparaît peu à peu, autrement, on essaierait pas de remplacer l'Homme par le robot, c'est bien ce que tu penses au fond. Surtout depuis ce jour, alors que ta mère avait quitté ce monde depuis quelques semaines, où une chose à son effigie avait fait apparition dans son salon. T'avais la douzaine, et t'as cru une seconde au miracle. Mais ce tas de ferrailles s'est mis à parler et t'as tout compris. T'as mère est bien morte et ton père, trop con, trop fou, trop ébranlé, à cru la retrouver avec cet androïde femelle qui ressemble bien trop à ta mère à ton goût. Comment? Pourquoi? Tu n'as jamais posé de telles questions au paternel, il te dégoûte, tout comme cette chose qui pourrie l'image que tu avais de ta mère.
Pourtant t'aurais tout fait pour ton père , toi, le gentil fils Endô! T'avais même pas pleuré quand petit, tes parents t'annonçaient que vous alliez déménager dans le pays de Maman, que tu allais quitter le Japon et tes amis. T'étais un grand garçon, super fort avec pleins de muscles! Alors t'allais pas pleurer, t'allais fièrement dire adieu à tes amis, comme un garçon viril et puis t'es parti, avec papa, maman, pour te rendre dans cette contrée inconnue dont tu savais pourtant la langue.
Puis t'as fait ta petite vie, comme un sage petit garçon voulant rendre ses parents fiers. Jusqu'à la douzaine où ta mère est morte trop bonne trop conne. Se prendre pour un héros, c'est pas donné à tout le monde, et ta mère a pas fait exception. Petite fille joue au ballon et traîne sur la route, Petite fille est pas très vigilante, le véhicule arrive trop vite. Maman te délaisse, Maman court, Maman se fait faucher, Petite fille pleure à n'en pas finir et le véhicule prend la fuite, te laissant toi, qui rejoins ta mère et qui la vois mourir peu à peu. Encore aujourd'hui t'en rêves, de son visage ensanglanté, de sa voix qui se perd on ne sait où, de ses yeux qui se dilatent et qui te fixent, te fixent, te fixent tellement que tu comprends bien trop tard que tu lui parles dans le vide. Cependant, tu préfères encore te rappeler de cette scène horrible, du tableau morbide que t'offres la peinture de ce souvenir rougeâtre plutôt que de sourire face à l'identique hypocrisie qui te sert ton repas tous les jours, alors que ton père roucoule niaisement pour elle.

T'étais plus du tout fier de ton père alors t'as décidé de vivre ta vie, de faire comme bon te semble puisque lui, ne t'a pas demandé ton avis pour remplacer la femme qui comptait le plus pour toi par une... machine, qui n'a même pas pris une ride depuis. Alors à l'école, t'écoutes quand tu veux, tu fais le pitre et tu restes attentif que quand tu juges que ça en vaut le coup ou quand tu sais la prof réceptive à ton charme. Tu fais ton p'tit con alors que véritablement, tu ne supportes pas tellement ce genre de comportement. Tu veux voir une réaction mais y en a pas, c'con hein? Tu t'es même  engagé dans une activité des plus étranges pour un jeune de ton âge, mais ça, c'parce que t'as suivi ce que ton coeur te dicte, et ton coeur est prêt à tout pour se greffer à l'un de ses compères, tu ne sais pas le contrôler. C'est donc ainsi, quand tu fais en sorte que le son soit bien capté, tu imagines alors à la place de ses deux corps mécaniques qui fusionnent, deux corps humains et brûlants, dont l'un est le tien, dont l'autre est le sien, qui voguent ensemble dans un monde d'extase et de merveilles.

Toi-même tu ne sais plus trop bien si tu tournes mal. Parfois tu te demandes quel est le but de ta vie, à quoi tu sers? Puisque de toutes manières, ta mort n'arrêtera pas la vie de quelqu'un, tu pourras toujours être remplacé à l'identique et ton sosie durera plus longtemps, soit-disant. Tu n'es pas un anti-androïde, mais tu n'es pas pour, pour autant. Tu ne comprends simplement pas pourquoi on créer des robots à l'effigie de l'Homme. C'est si satisfaisant que ça?