Vous le trouvez mignon, n’est-ce pas ? Cet enfant de 19 ans, avec ses yeux marron qui brille d’innocence et de joie. Ce garçon à la chevelure brune qui semble le plus insouciant et le plus chanceux au monde. Vous pensez qu’il n’a jamais eu de soucis ? Qu’il vit une vie paisible ? En réalité, il a juste appris à vivre avec toute la merde qui l’entoure.

15-4.

Ce jour qui restera dans la tête de sa mère comme le plus beau jour, le jour où elle a mis au monde son bébé, son premier et seul bébé. Elle avait eu énormément de chance en accouchant de lui, elle qui avait des soucis de stérilité avait réussi à tomber enceinte de ce beau bébé. Trois kilo deux qu’il pesait ce jour-là, un jour qu’il considère comme tous les autres maintenant.

Il grandit avec une mère aimante et un père absent, enfin, il était étrangement présent quand il fallait venir chercher un truc à vendre ou s’envoyer en l’air sans risque avec sa femme. Sans risque pour lui en tout cas, elle ne pouvait pas tomber enceinte et était fidèle. Trop bonne trop conne comme on dit. Son père lui partait voir partout où il pouvait, si elle choppait une maladie bonne chance pour retrouver la fille qui en était responsable.

Jusqu’à son premier anniversaire il avait vécu confortablement, mangeant à sa faim, puis ils ont dû déménager. Son père avait vendu la maison cette fois. Alors direction une caravane pour avoir un toit au-dessus de la tête. Sa mère travaillait honnêtement, gardant juste ce qu’il fallait pour manger, le reste partant dans les poches de son père. Ils ont vécu dans une caravane jusqu’à ses trois ans. Après ? Vendu. Elle aussi a été vendue. Ils se sont retrouvés à la rue, dans cette zone si dangereuse, où tout pouvait arriver. Sa mère le protégeait alors que son père disparaissait toujours autant. Un jour, il est venu là où ils créchaient tous les deux, profitant que sa femme dorme pour prendre l’enfant et l’emmener se balader. Voilà ce qu’il avait répondu quand Chung Il lui a demandé où ils allaient.

Il pense avoir ressenti une joie immense ce jour-là, son père s’occupait de lui pour la première fois en trois ans. Alors il parlait, et parlait encore et encore. Parlant de ce qu’il aimait, de ce qu’il faisait, disait qu’il l’aimait et voulait passer plus de temps avec lui. Il arrivait face à deux hommes. Chung Il était curieux, comme il a toujours été curieux de tout. Et surtout, qu’est-ce qu’il y avait dans ce sac ? Il aurait voulu sauter dedans pour le vider et fouiller mais il était dans les bras de son paternel. Tout d’un coup un des hommes tends les bras vers lui. Chung Il s’accroche à son père, il avait peur, il voulait seulement rester avec son père. Mais celui-ci l’arrachait à ses vêtements sans une once d’hésitation dans ses mouvements et le tendait à l’homme en face.

28-4. Trois ans et 13 jours. Voilà le temps qu’il a fallu à cet homme pour vendre son fils.

Tout ça Chung Il ne s’en souvient pas au jour d’aujourd’hui. Ce qu’il a en tête c’est la suite. Des coups. Des insultes. Des abus. Des drogues. De l’alcool. Encore des coups. Et ainsi de suite. Après avoir été vendu par son père, il était vendu par ceux qui l’avaient acheté. Jamais définitivement, le temps d’une heure ou deux. Parfois plus. Parfois moins. Dès ses six ans il a vécu de cette façon. C’est devenu banal même si au début il avait mal, atrocement mal, et pleurait. Tous les jours quelqu’un différent, parfois il pouvait lui arriver de voir la même personne plusieurs fois dans la semaine. Et quand il n’était pas d’humeur on lui injectait des substances en tout genre et il était reparti de plus beau. Comme un robot. D’ailleurs il en côtoyait quand il rentrait de ses affaires une fois plus grand. Il se sentait bizarre avec eux. Ils n’étaient pas comme les personnes qui l’ont élevé. Ils ne le frappaient pas, ne l’insultaient pas, ne lui donnaient pas d’ordre. C’est à force de les voir et de leur parler qu’il a compris que quelque chose clochait. Lui qui était inoffensif se mit à devenir violent avec sa « famille ». Pas qu’avec eux d’ailleurs, mais avec tous les humains qu’il rencontrait.

« Ce sont des pourris, ils méritent de crever. »

Il avait perdu plus de quinze ans de sa vie pour des gens qui ne le méritaient pas. Un soir, il décida de se rebeller, les frappant, les insultant. Mais il s’était fait attraper et son corps se souvient encore de cette nuit-là. Une nuit dont il taira à jamais les évènements mais les gardera toujours en tête. Et il se souviendra toujours de ce qu’on lui a appris ce soir-là : les conditions de son arrivé là-bas.

« Ton père montait un androïde, il a tout vendu jusqu’à la chose la plus précieuse pour lui et sa femme. Il t’a vendu, contre une des trois pièces qui lui manquait pour le finir. Même ton père n’a pas voulu de toi ! Comment on pourrait te traiter autrement que comme ton père t’a traité ?! T’es qu’une pièce parmi tant d’autre, tu ne mérites pas de savoir parler ou de penser. Alors arrête d’ouvrir ta gueule et va bosser ! Sale bât*** »

Un discours qui restera graver dans sa mémoire toute sa vie, qui lui a permis de comprendre pourquoi on le traitait comme une sous merde, comme un bout de viande consommable et jetable à souhait.

Maintenant qu’il vit enfin libre il ne parle jamais de son passé. Inventant une vie qu’il imagine comme étant celle qu’il aurait vécue avec ses parents si son paternel ne l’avait pas vendu pour les plus curieux…