Ce soir là, Ren se sentait nostalgique. Il parcourait les rues sombres et tranquilles de la ville, cherchant un endroit où se poser. Il marchait en regardant bien le chemin, refusant de reluquer ces panneaux publicitaires où elle apparaissait. Son visage, ses yeux, son sourire hantaient Ren. Mais bien évidemment, il se sentait au moins heureux de voir qu’elle s’en était sortie et que son rêve s’était réalisé.

A l’époque, il l’avait encouragée, à être plus sûre de soi et à croire en sa manière de faire les choses. Il fallait croire qu’elle avait écouté les mots de l’informaticien, car maintenant, elle était un des mannequin les plus célèbres. Mais Ren, il connaissait mieux que quiconque ce que les autres pensent connaître d’elle. Oh oui, il la connaissait de la tête aux pieds.

Un sourire nostalgique déforme les lèvres du jeune homme alors qu’il remarque sa destination. Le mecanic cinéma. Il n’avait pas changé, toujours figé à l’ère du temps où Ha Ri & Ren venaient ici comme des ados en cavale. Ils sont venus ici lors de leur premier rendez-vous, et c’est ici aussi qu’il lui a donné un premier baiser.

C’est d’ici que leur histoire avait commencé vraiment, même si désormais elle était finie. Entrant dans le hall, il se décida à acheter un ticket du seul film qui était projeté ce soir là. Ironie du sort, il connaissait bien ce film.

S’installant exactement au même siège qu’il y a cinq ans, Ren ne moufta rien, observant la salle qui n’avait pas changée non plus. Il était seul dans cette salle, enfin plus pour longtemps car deux ou trois personnes arrivent par la suite. Ren attend que le film commence. Il le connait par coeur, mais ne s’en était jamais lassé.

Alors qu’il venait de commencer, une personne s’assied à côté de lui. Au départ, il n’y prête pas attention, puis lorsque cette voix lui parle discrètement, il semble qu’elle ne lui est pas étrangère. Il n’ose pas tourner la tête, de peur de croiser le regard de cette personne.

Il n’ose pas répondre, se contentant de regarder le film, mais à moment, il ne tient plus et discrètement, il reluque la jeune femme à côté de lui. Son sang se fige dans ses veines, son coeur rate un battement imperceptible. Sa mine se décompose petit à petit alors que l’écran vient éclairer son visage déformé par la surprise, le désespoir et le remord.

Dans sa tête, il ne sait pas quoi faire. Qu’allait-il pouvoir dire ? Que faire ? Leur fille était morte, leur bébé sauvagement assassiné, et lui, il ne s’en remettra jamais. Mais elle ? Sûrement effondrée et Ren ne tenait pas à être celui à lui dire, mais il n’avait pas le choix.   

Son être entier semblait s’être figé. Autant il désirait partir d’ici, et ne plus la revoir, autant il voulait lui dire qu’il était désolé. Désolé de ne pas l’avoir donnée de nouvelles, et désolé de n’avoir pu protéger leur bébé. Leur chère fille qu’elle ne reverrait plus jamais. Il resta là, figé après l’avoir vu déguerpir de la salle.
Que devait-il faire ? Faire face au moment qu’il avait tant redouté ? Ou bien fuir lâchement ? Il ferma les yeux, oubliant le film un instant avant de se lever pour descendre en bas, le coeur lourd et la gorge serrée. Elle était là, à l’entrée et il hésita à la rejoindre.
Silencieusement, il lui fit face, observant son visage. Elle n’avait pas changée, non elle était devenue plus jolie. Mais Ren ne ressentait plus cette étincelle, cette flamme qu’il avait eu lors de leur rencontre. Il avait tellement eu mal après son départ, et la disparition de leur fille.
Ren se racla la gorge.

« Ça fait longtemps » dit-il, sa voix semblant être étranglée.

Oui, il fallait bien commencer par là, mais dans sa tête, il avait vraiment envie de lui mentir, de dire que Mai dormait à la maison tranquillement, qu’elle était saine et sauve, qu’elle grandissait bien et qu’elle était en vie. Il ferma les yeux quelques secondes. Son regard sur lui, il le sentait et il sentait ses genoux trembler. Il n’osa pas lui dire tout de suite, il voulait trouver le meilleur moyen de lui annoncer la nouvelle, aussi atroce soit-elle.

« Mai… »

Son prénom lui arracha un pincement au coeur, et des larmes, celles qu’il avait longuement rejetées, semblaient inonder ses yeux dénués de toute joie.

« Je…n’ai pas pu la protéger comme il fallait. Je suis rentré un soir…elles étaient là toutes les deux, et je n’ai rien pu faire »

Sa voix se brisa sous le poids des mots et ses genoux plièrent. Il tomba à genoux devant celle qui fut la femme de sa vie, incapable d’ajouter d’autres mots. Il n’avait pas la force de lui demander pardon, d’avoir été incompétent, de n’avoir pas pu préserver leur petit ange. Il se sentait pathétique, et il l’était à se raccrocher à l’espoir de retrouver le meurtrier. Sa vie n’avait plus de sens. Il serra les poings sur ses genoux, attendant une réaction de son ancienne compagne.   

Ren n’avait certainement pas la force, ni le courage de répéter ces mots. Il n’arrivait pas à faire face à la brune. Il n’avait pas envie de voir ces grands yeux remplis de larmes, ni son visage torturé par le désespoir et la tristesse. Il ne répondit pas. Il attendant simplement. Lui aussi avait été dans le déni. C’était impossible pour lui. Pour elle. Leur petite fille partie à jamais, beaucoup trop tôt.

« Je suis désolé » souffla-t’il alors que sa voix commençait à craquer sous l’émotion.

Il essayait de se mettre à la place de Ha Ri, mais c’était impossible. Elle avait sûrement attendu toutes ces années dans l’espoir de revoir sa fille, elle s’était donné ce mal pour qu’elle soit fière de sa mère. Et maintenant, toutes ses attentes, ses rêves et ses espoirs d’être appelée « maman » venaient de se volatiliser. Dans le néant.

Ses doigts tremblaient, sa respiration était sans cesse coupée par ces sanglots, alors que sa tête restait baissée, par lâcheté de voir Ha Ri pleurer, si mal. Ce n’était de la faute à personne, surtout pas à Mai, ni à ses parents qui la choyaient comme une princesse. Sa petite princesse. Le silence de mort poussa Ren à relever prudemment les yeux, et voir en effet le visage fatigué, inondé de larmes de son ancienne compagne. Il se sentait tellement mal, désolé, et pire que tout, il se sentait responsable de tout ça.

Si il n’avait pas rencontré Ha Ri, si il n’avait pas poussé celle-ci à garder l’enfant, rien de tout cela ne serait arrivé. Peut-être qu’à cette heure-ci, il serait à son travail, montant le projet d’arrache-pied, et elle, voir sa carrière encore plus haute encore que maintenant. Mais Mai ne serait jamais née, jamais ils n’auraient eu cette joie et enfin cette douleur de l’avoir eu dans leur vie. Oui, il se sentait responsable et les remords le rongeaient jour après jour. Avec des « si » Ren aurait bâtit un autre monde. Maintenant, il fallait qu’il aille de l’avant, et même si ça allait être très dur pour Ha Ri, elle le devait aussi.