« Sometimes it hurts instead. »

Il Woo, ce n’est pas lui. Il Woo a vingt ans, il est un peu timide et maladroit. Sa guitare ne le quitte jamais. Tous les soirs, ses amis l’attendent dans un petit club de Hongdae. Là, dans ce sous-sol d’à peine une vingtaine de mètres carrés, il se laisse aller et gratte les cordes de son instrument comme sa vie en dépendait. Il rêve de devenir musicien. Ses parents ne veulent pas le décourager, mais craignent qu’en poursuivant cette carrière, il ne court pas vers un avenir assuré. Aussi, pour les apaiser, fréquente-t-il à côté une école de médecine. Bon garçon, fils aimant et ami fidèle, Il Woo plaît à tout le monde. Il commet parfois quelques bourdes et d’autres menues erreurs, mais personne ne songe à ne lui en tenir rigueur. Son sourire innocent suffit à lui obtenir le pardon et l’affection des plus rancuniers. Il fait réellement l’unanimité. Voilà pourquoi on ne le voit jamais seul, mais toujours entouré, adoré et choyé.

Il Woo, ce n’est pas lui. Lui, il sort tout juste de l’usine, n’existe que depuis deux mois, ne connaît rien de la vie, ni du monde. Pourtant, tous les vêtements qui sommeillent dans son armoire ont déjà été portés, tous les livres qui attendent sur ses étagères déjà annotés et griffonnés. A son arrivée, tout était déjà prêt. On n’a rien changé, ni bougé. Même dans les draps dans lesquels il « dort » n’ont pas été remplacés. Ils sont encore imprégnés de son odeur à lui. Depuis des mois, la fragrance perdure et traîne dans l’atmosphère confinée dans la chambre. Elle n’est cependant pas encore à pénétrer sa chair de silicone. Il sent encore trop le plastique et le fer, l’artificiel et le mensonge.

Il Woo, ce n’est pas lui. Malgré cela, tout le monde fait comme si c’était en fait le cas. De ces parents effondrés d’avoir à vivre alors que leur fils n’est plus à cette petite amie pleurant encore le jour où celui qu’elle aimait a été fauché par une voiture… tous le voient, mais ne le regardent pas. Leurs yeux ne recherchent que les mille et une ressemblances qui le rapprochent de celui qu’ils ont perdu. Cette démarche un peu gauche, ce sourire en coin, ce front qui se plisse sous le coup de la réflexion… Ces détails leurs paraissent si naturels et authentiques qu’ils en oublient qu’il ne s’agit là que du produit de savants logiciels et d’algorithmes compliqués pour lequel ils ont payé. Ils se disent qu’au fond, le Il Woo qu’ils ont fait incinéré est re-né de ses cendres, qu’en vérité, il est revenu des morts pour ne plus jamais les quitter. Et lui, programmé pour les contenter, n’est pas prêt de les détromper.