Tu te réveilles, les membres engourdis par une longue nuit de sommeil, les yeux bouffis. Ta peluche favorite sous le bras, tu te lèves, trébuches un peu contre ton lit avant de te diriger d'un air endormi vers la chambre de ton frère. Comme tous les matins, vous vous levez plus tôt pour discuter de son androïde, avant que vos parents ne se lèvent. Pour préserver le secret. Pour ne pas se faire gronder.

Tu ne frappes pas à la porte, et tu t’engouffres discrètement avant d'allumer la lumière.

Ce n'est pas ton frère, et ce que tu y découvres t'horrifie.

Trois corps ensanglantés, dont l'un d'entre eux est bien plus petit, donc sûrement plus jeune, se trouvent là, de part et d'autres de la chambre de ton frère. Celui ci sort de l'ombre, accompagné d'un androïde... un androïde qui te ressemble comme deux gouttes d'eau. Il te regarde d'un air mauvais, comme si ta vue le répugnait. « Tu me déçois Jinah », sa voix résonne dans la pièce qu'il quitte accompagné de son androïde.

Abandonnée à ton sort, tu paniques : tu fonds en pleurs de peur, de colère, et d'horreur de te retrouver au milieu des cadavres. Perdue dans des sanglots incontrôlables, tu ne remarques qu'à la dernière minute qu'un des corps s'est levé et pointe une arme sur toi.

Il appuie sur la gâchette.

Tu te réveilles en panique, les yeux grands ouverts. Ta nuque, ton front, ta chevelure sont trempés, couverts d'une sueur froide. La bouche ouverte, tu as le souffle court. Le cri qui a voulu sortir est resté coincé dans ta gorge et tu sens tous tes membres répondre faiblement à l'appel de ton cerveau.

7h02 t'indique ton réveil. Tu te redresses péniblement, les larmes aux yeux, la respiration haletante, encore choquée par ton cauchemar. Et engourdie par la fatigue car tu n'as dormi qu'une heure.

D'habitude, tu n'as aucuns problèmes à trouver le sommeil mais cette nuit, tu n'as pas réussi à fermer l’œil de la nuit. Du moins, pas avant de t'endormir aux alentours de 6h du matin. Dès que tu fermes les yeux, les images de la traque d'hier soir avec Jaeyoung reviennent danser devant tes yeux et te donnent un haut le cœur.

Tu dois te changer les idées. Tu te lèves, chancelante, nauséeuse et te dirige vers l'armoire pour y récupérer quelque chose, avant de te lover dans le fauteuil de ton salon. Tu plaques le sweat-shirt que tu as dans tes mains contre ton visage, essayant de calmer ta respiration, apaisée par l'odeur qui s'en dégage. Lorsque ta respiration redevient enfin régulière, tu soupires avant d'enfiler le pull.

Entourée de son odeur, tu penses à lui. Tu t'étais promis de ne plus jamais ressortir ce vieux sweat-shirt mais parfois, lorsque les crises d'angoisses sont trop fortes, tu ne peux pas t'en empêcher. Son odeur t'apaise, sa présence t'aidait à affronter tes crises d'angoisse à l'époque. Avant qu'il parte du jour au lendemain, sans aucunes nouvelles.

Emmitouflée dans le sweat, tu finis par somnoler quelques dizaines de minutes, des bribes de noir infini entrecoupés de souvenirs de vous deux à l'EH. Puis lorsque ton réveil sonne, tu t'étires, toujours nauséeuse. Douche, habits, petit déjeuner sont bâclés en quelques minutes, comme chaque matin, et tu te sens presque prête à affronter ta journée.

Tu dois faire ton rapport aux locaux de l'EH aujourd'hui, et cela ne te réjouit pas beaucoup. Mais tu n'as pas le choix, c'est dans les termes de ton contrat. Tu attrapes une des sucettes qui traînent sur le comptoir de ta cuisine et te la mets dans la bouche.

Tu sors de ton immeuble, et t'immobilise. En face de toi, assez caché sous une casquette et des lunettes, tu as l'impression de voir cette personne dont tu as gardé le sweat-shirt sur toi. Tu dévisages la personne quelques minutes, mais ne voyant aucune réaction de sa part, tu décides de reprendre ton chemin vers le café le plus proche, là où tu t'alimentes en café avant de prendre ta voiture.

Tu fais toujours attention à qui t'entoure, à qui reste dans tes alentours. Habitude de devoir éviter d'être suivie jusqu'à l'EH, pour garder ton identité secrète auprès des hors-la-loi. Alors, la voiture qui te suit, tu la repères rapidement. Les yeux alternant entre la route et le rétroviseur tu attrapes ton café et le porte à ta bouche. Tu te demandes bien qui peut te suivre comme ça. Tu ne reconnais pas le modèle de la voiture, mais tu as cette impression étrange de l'avoir déjà vu quelque part, voire plusieurs fois.

Quelques tournants, des kilomètres dans la ville, et la distance entre ta voiture et celle de ton assaillant reste la même. Un souffle échappe de ta bouche, un souffle moqueur. Il n'est pas très discret cet assaillant, il n'essaie même pas de brouiller les pistes. L'avantage que tu as pour toi, c'est que tu es partie en avance de chez toi, et que ton rendez-vous avec tes supérieurs n'est que dans 1h. Tu pensais prendre de l'avance pour régler des papiers auparavant, mais il semblerait que tu devrais régler autre chose ce matin. Des comptes avec un stalker.

Tu te demandes bien qui ça peut être, et tu te passes en revue toutes tes actions des derniers jours : as-tu fait une erreur à un moment alors que tu étais dans la zone des hors-la-loi ? As-tu fait une erreur quand tu as parlé à Minsoo et les autres ? As-tu montré du dégoût envers des androïdes ? Rien ne semble t'alarmer, mais le fait que tu sois suivie fait progressivement monter ton rythme cardiaque. La fatigue et l'angoisse de cette nuit ne font qu'exacerber le sentiment d’oppression que tu ressens peu à peu.

Tu regardes ton reflet dans le rétroviseur et soupire. Une inspiration, une expiration et tu te décides à sortir de la voiture, ton sac de sport dans la main. Faire comme si de rien n'était, ta sucette en bouche. Tu te diriges d'un pas assuré vers les locaux de l'EH, dans lesquels tu rentres. Sur le palier, tu salues plusieurs des employés de l'entreprise. Une fois dans les toilettes du lobby, tu te changes rapidement. Tu enlèves le pull que tu portais et attrape ta veste de costard, troque tes baskets pour des talons noirs, applique un peu de maquillage. Dresse tes cheveux en une longue queue de cheval et mets des lunettes noires pour couvrir une partie de ton visage. Déguisement complétée, tu poses le sac de sport dans un des casiers qui sont reservés à l'usage des employés avant de te rediriger vers la sortie. Tu jettes ta sucette dans la poubelle de l'entrée et arrives au niveau de la voiture qui te suivait. Tu prends une grande inspiration et tapes à la fenêtre. Tu as bien pris soin de te maquiller comme tu ne l'es jamais, avec les cheveux et les lunettes, la personne qui te suit ne devrait pas te reconnaître. A moins qu'elle te connaisse personnellement bien. Le cœur battant la chamade à l'idée d'être démasquée, tu attends que le conducteur baisse la vitre pour t'autoriser à le voir.

Quelques dizaines de secondes passent avant que ce dernier ne le fasse, et tu te penches en avant pour pouvoir voir son visage. La personne dont tu croises le regard te laisse pantoise. La bouche semi-entrouverte, le sentiment d'un courant électrique parcourt tout ton corps. La surprise, et d'une certaine manière, le soulagement de le voir. Mais juste après, c'est la colère qui prends le dessus. Celle de se rendre compte qu'il t'avait manqué. Qu'il t'observait et te suivait, alors qu'il t'avait abandonné du jour au lendemain. La fatigue, l'anxiété te prennent à la gorge et avant même qu'il ai pu dire un mot, tu tournes les talons. Tu ne veux pas lui parler, encore moins le regarder. Tes talons claquent sur le trottoir, les poings serrés. Tu ne comprends pas ce qu'il fait là, et tu aimerais comprendre mais tu ne veux pas être celle qui entame la conversation en premier. C'est lui le fautif après tout, c'est lui le traître.

Ton cœur bat la chamade dans ta poitrine et tu essaies de contenir les émotions qui ne demandent qu'à sortir. De la surprise, celle de le revoir là à te suivre, de la colère, celle d'avoir été abandonnée il y a déjà de ça plusieurs mois. Et de la peur, celle qu'il te rattrape et t'oblige à vous confronter. A vrai dire, ce n'est pas la première fois que tu le revois depuis le jour où il a tout quitté, où il t'a quitté. Tu l'as déjà aperçu sur les marchés noirs, au détour d'une ballade avec Minsoo. Car ce dernier est assez proche de l'ingénieur en robotique. Mais ça, tu ne l'as découvert qu'au travers d'une conversation, après avoir feinté une excuse pour éviter une confrontation.

C'est aussi parce que tu l'as revu ce jour-là, et que tu as entendu parler de lui, Minsoo et Jungsu le fréquentant de temps à autres, que tu as su. Qu'il ne t'avait pas abandonné par nécessité, mais pour vivre sa propre vie, avec les androïdes. Qu'il avait tout abandonné pour les androïdes. Comme ton frère avant lui.

Avant que tu te rendes compte que tu n'es pas retourné dans les locaux de l'EH et que tu t'es dirigé vers la droite, vers les commerces, menée par tes pieds plutôt que par ta tête, tu sens qu'on t'attrapes par le bras. Tout ton corps se tend, ton poing se serre tandis que tu fais face à ton assaillant. Il t'observe tandis que tu le dévisages d'un regard assez dur. Tu as envie de te débattre, de le frapper, de lui crier tout au visage. Presque d'aller chercher un agent de l'EH pour qu'il soit puni, arrêté. Mais tu ne peux pas. Soudainement, il pose sa main sur ta joue, et ton souffle s'arrête, subjuguée par la chaleur rassurante contre ton visage. Une proximité que tu n'as pas eu depuis si longtemps. Pendant quelques secondes, la rancoeur est oubliée, la colère ravalée. Ce qui brûle en toi, ce n'est que la joie de le voir revenir vers toi. L'appréhension de le retrouver. L'envie d'enfouir ta tête dans sa poitrine et l'étreindre tendrement comme avant. Il aurait même pu t'embrasser, à ce moment là, tu ne l'aurais pas repoussé.

Mais la magie ne fait pas longtemps effet, et avec les mots d'excuse soufflées par le jeune homme, le retour à la réalité se fait. Ce n'est plus le même Hide qu'avant. Il n'est pas là à tes côtés, tu n'es plus la même jeune fille qu'avant. Tu n'es plus autant amoureuse que lui. La rancoeur est plus forte. Il n'a pas été à tes côtés, il t'a abandonnée et tout ça, pour des androïdes. Il ne te donne pas de nouvelle, ne t'avertit pas qu'il s'en va, vit sa vie agréablement à l'autre bout de la ville, te laisse seule dans une entreprise pour laquelle tu n'as pas envie de travailler... et tout ça pour revenir au bout de plusieurs mois, avec un air inquiet comme s'il t'avait quitté hier et qu'il était sincèrement inquiet ?

Tu clignes des yeux, le charme est rompu. Tu t'écartes vivement de lui, la chaleur de sa paume contre ta joue s'évaporant dans l'air, et avant que tu n'ai pu le contrôler, ta main droite vole pour s'écraser contre sa joue à lui. Une autre sorte de chaleur humaine. Tu recules de quelques pas, la main tremblante tellement tu as frappé fort. Tu sens des fourmis parcourir le bout de tes doigts, mais rien ne te déconcentre de cette colère que tu ressens, au plus profond de toi-même.

« Et tu crois sincèrement que je vais te croire ? »

Tu accentues le sincèrement, un sourire narquois sur les lèvres. Ils ont pu être sincères il y a de ça quelques mois. Mais depuis, de l'eau a coulé sous les ponts, et il t'as caché tout un pan de sa vie, tout un pan de son existence. La confiance n'est plus.

« J'en ai pas besoin de tes excuses. Tu n'existes plus à mes yeux, tu as arrêté le jour où tu es parti. Alors pas besoin de t'excuser, j'en ai que faire. »

Tu mens, et tu le sais très bien. Si c'était le cas, tu aurais pu aussi oublier ton frère, tu aurais pu faire autre chose de ta vie. Mais les abandons qui rythment ta vie font de toi ce que tu es aujourd'hui. Ta voix est légèrement tremblante mais tu fais tout pour contrôler le surplus d'émotion qui t'affaiblit. Tu sais très bien que tu ne dois pas montrer ton côté faible, il pourrait en profiter. Après tout, c'est bien après avoir enfin abaissé tes barrières, après avoir montré tes faiblesses et t'être plus ou moins livrée qu'il a fini par te laisser tomber. La confiance, elle ne devrait pas exister, car les gens ne gagnent votre confiance que pour mieux vous assassiner.

La marque rouge commence à apparaître sur le visage de ton assaillant et au fin fond, tu te demandes s'il n'a pas trop mal. S'il ressent lui aussi le sang tambouriner dans ses veines comme dans ta main. Ou si cette dernière est due à la colère et à la rancœur que tu as accumulé pendant plusieurs mois à son égard.