Je déteste les hôpitaux. Depuis la première fracture. Et des os cassés, j'en ai eu. L'hôpital, je connais. J'ai un dossier médical long comme le bras. Et avec mon accident, il en fait sûrement deux maintenant.

Je suis alité depuis deux mois maintenant. Je ne veux pas et surtout, je ne peux pas bouger. Difficile d'avancer quand on a une jambe en moins. Personne ne me forcerait à faire ce que je ne veux pas. Bien sûr que les médecins me tournaient autour comme des rapaces, à me répéter sans cesse que la rééducation n'était que pour mon bien, que ce n'est pas comme ça que je remarcherais un jour. Et blablabla. Que des conneries. Si je ne veux pas me lever, je ne me lèverais pas. Point final. Et voilà, on en parle plus et tout le monde me laisse tranquille.

Enfin ça, si ce n'était pas pour la « thérapie » personnelle à laquelle j'ai le droit. Une idée de ma mère. Comme quoi ça pourrait m'aider. Des conneries. Encore. J'en ai rien à foutre. Mais que voulez-vous que je fasse ? Que je la vire à coup de pieds ? Ah, la bonne blague. Je vais juste l'ignorer et attendre qu'elle se casse. Voilà, ça c'est un bon plan.

J'entends la porte qui s'ouvre et une petite voix qui suit. Puis un bruit près de mon lit. Pas de toute, la thérapie est arrivée.

« Et moi, j'suis pas du tout intéressé ». Au moins, elle comprendra peut-être qu'elle peut aller voir ailleurs si j'y suis. Enfin, si je pouvais bouger. Quelle ironie...

Seung Hee ne réagit pas. Si elle avait été humaine, peut-être se serait-elle sentie confuse, or, elle ne l'était pas. Elle ne bougea pas non plus. En fait elle se contenta de s'asseoir sur la chaise et de fixer son patient. Elle avait déjà eu à faire avec des patients comme lui, même un peu plus désespérés, mais là c'était juste de la mauvaise foi. L'androïde décida de dire avec politesse et un grand sourire.

- Je repasserai quand même, jusqu'à ce que vous en ayez marre et que vous accepteriez de parler.

Oui, Seung Hee avait l'attrait d'être têtue, et il le fallait , sinon elle n'arriverait pas à faire son travail comme il le fallait. Se relevant, elle prit une pomme pour la peler doucement avec habileté et de la couper dans une petite assiette pour Kyung Jun. Ceci fait, elle se lava les mains dans le petits lavabo dans le coin de la salle et pris son sac. Saluant le patient, même s'il ne la regardait pas, Seung Hee sortit de la chambre d'hôpital, prenant une inspiration dont elle n'avait pas besoin. Elle espérait que ça allait fonctionner, car il n'allait pas être facile de le convaincre, et peut-être que cette thérapie ne commencerait jamais, vue dont la façon dont il lui avait répondu. Mais Seung Hee resta positive, après tout, c'était son boulot de convaincre et soigner ceux qui en avaient besoin.

Le lendemain, à la même heure, Seung Hee frappa à la porte avant d'entrer, espérant trouver Kyung Jun plus enclin à parler, ne serait-ce que faire connaissance. Prenant le temps de s'asseoir sur sa chaise, elle ne releva ses yeux que quand elle fut assise près de son lit.

Je sais, vous me trouvez ignoble. Mais je m'en fous. Vous n'êtes pas les premiers et vous ne serez pas les derniers à le penser. Mais qu'importe. Je veux juste qu'on me laisse tranquille. Je n'ai pas envie de faire d'effort, que ce soit pour être agréable avec les autres ou pour remettre sur pied (aucun jeu de mot). Les médecins ne voient que le côté technique : se rétablir, aller mieux et "réparer" ma jambe et surveiller mon cœur. Pour eux, ce que j'ai perdu est remplaçable. Mais rien ne l'est. Ma famille me fuit comme la peste, ma fiancée a rompu avec moi, ma carrière a été détruite. Il ne me reste plus rien. Et ce n'est pas une foutue thérapie qui me rendrait tout ça.

Satisfait de l'entendre s'en aller, un sourire se dessine sur mes lèvres. J'ai rien contre cette fille personnellement, elle fait son boulot. Mais j'ai pas besoin d'elle. Ni de personnes. Qu'on me laisse crever dans un coin et qu'on en parle plus, voilà ce qu'il me faut. Le reste de la journée se passe comme les autres : les médecins défilent pour vérifier mes constantes avec leur charabia, puis une infirmière m'apporte mes médocs, un autre mon repas; j'y touche rarement. Puis on m'injecte une dose de morphine pour calmer la douleur et m'aider à dormir. Et là, le trou noir.

Le lendemain, la même rengaine. Les gens défilent, je dors, je râle, on me bourre de médocs, on me fait faire des tests qui me fatiguent de jour en jour et on me ramène dans ma chambre. Puis quelques heures plus tard, peut-être des minutes; je perds le compte du temps, quelqu'un entre dans ma chambre. Par le glissement de la chaise, je sais qu'il s'agit de cette fille. Sa corbeille de fruits de la veille est figée sur la petite table près de la fenêtre.

« Si vous êtes là pour la thérapie, vous vous êtes trompée de chambre », lui dis-je sans me tourner vers elle. Et voilà, la journée continue comme toutes les autres.